Creuser

Bastien Vittori


Atelier Loo & Lou - Haut Marais
17.09 - 20.10.25
 

Le dessin est, pour Bastien Vittori, un moyen d’explorer une image, un procédé pour comprendre ce qu’il a vu, ce qui l’a arrêté lors de ses pérégrinations, que ce soit dans une ville, une campagne, une forêt ou en bord de mer. Il se laisse porter par un territoire jusqu’à être saisi par un point de vue sur un champ, par une lumière qui traverse un hangar ou qui devient ombre, par un rayon de soleil qui s’accroche sur des sacs poubelles ou danse sur une mer agitée. Il n’y a pas de hiérarchie entre les sujets – seule la dimension poétique compte – et l’artiste est opposé à toute idée de série. Le domaine des possibles est si vaste qu’il se refuse à faire deux fois le même sujet, de s’enfermer dans un systématisme. Idéalement, chaque dessin est un nouveau sujet, une nouvelle opportunité d’aborder un motif sous une autre facette. Son approche traduit une façon de s’engager dans le réel à partir du corps, de la matière, du toucher. C’est une affirmation d’un point de vue, du positionnement du regard. Soit, si on prend un peu plus de hauteur, de poser la question de la place de l’homme dans l’univers.

Par sa distance avec le réel et par l’intention qui l’anime, il nous fait basculer dans l’imaginaire. « Le vocable fondamental qui correspond à l’imagination, ce n’est pas image, c’est imaginaire. La valeur d’une image se mesure à l’étendue de son auréole imaginaire », écrivait Gaston Bachelard, auteur que Bastien Vittori cite volontiers. « Travaillant d’après la photographie, j’explore les imbrications de formes auxquelles je fais face chaque jour : la transparence des feuilles et leur chatoiement, l’aspect tacheté des troncs d’arbres, la soie d’un vêtement. Tout cohabite, s’imbrique, s’encastre, se touche. Dessiner au fusain c’est creuser dans les formes et leur surface, creuser en frottant la page. » Si son point de départ est la photographie, il ne tombe jamais dans le photoréalisme. Il garde la composition générale, ce qui lui permet de se libérer du sujet d’une certaine façon, et commence véritablement à regarder et à convoquer son imagination. Il trace sa ligne sur la feuille, gomme, recommence inlassablement dans un aller-retour pris dans un jeu d’oppositions entre cacher et dévoiler, effacer et révéler, remplir la surface et laisser des espaces vides. Les blancs s’opposent aux noirs ou se fondent dans les noirs. C’est cette accumulation qui donne du corps à ses dessins aux fusains condensés, proches des noirs de gravures. Très mats, très chauds. « Avec ce médium, on déplace plus qu’on ne gomme. Je pose ma matière sur la feuille, ensuite, je la déplace, ce qui à terme crée du mouvement grâce aux accumulations de gestes. »

 

  • Stéphanie Pioda, historienne de l’art