Depuis son arrivée en France à l’orée du nouveau millénaire, après s’être formée à la peinture à l’École des Beaux-Arts de Nankin, LiFang (née en 1968) développe une œuvre où le regard se brouille pour mieux se recomposer, attentive à ce moment fragile où la figure se défait sans disparaître tout à fait. De larges aplats juxtaposés, modulés selon les variations de la lumière, structurent ses compositions. La couleur y naît de rapprochements, de superpositions et d’affleurements, jusqu’à créer une profondeur optique où l’œil, captif, se laisse lentement absorber.
Par certains aspects, ce patient travail de fragmentation évoque le flux accéléré de notre époque, un monde saturé d’images où la présence s’efface à mesure qu’elle s’expose.
Ses récentes toiles déploient des scènes de partage et de plénitude, des corps de baigneurs offerts à la transparence du jour, saisis sur la plage, au bord de l’eau dont les reflets irisés retiennent la tiédeur diffuse de l’été. Ses huiles oscillent entre légèreté et gravité, entre la netteté du contour et le tremblement de la surface. Ce qui importe n’est pas tant la représentation que la perception, cette manière d’habiter le monde par le regard, de le sentir vivant avant qu’il ne s’éteigne. Dans cet intervalle entre apparition et effacement, LiFang explore la durée même du visible, un espace où la clarté devient mémoire, où la peinture, par rémanences successives, se souvient.
Loin de toute virtuosité démonstrative, l’artiste engage une peinture traversée par la quête et l’expérience, attentive à sa propre intériorité, une peinture qui ne cherche pas à reproduire le réel, mais à en saisir le mouvement, l’éclat fugitif, la densité. Noyés dans la lumière, visages et silhouettes à demi estompés renvoient aux heures fondatrices de la modernité, quand figuration et abstraction s’éprouvaient dans une même continuité du regard.
À la fois ample et rythmé, le geste pictural conjugue la rigueur du dessin à la liberté d’une touche aérienne, enlevée, portée par une vitalité coloriste, subtilement acidulée. Car le retrait des représentations, ou du moins leur conversion en apparitions, soutient un entrelacement d’associations subtiles forgées autour de réminiscences, faisant ainsi advenir un tissu imaginaire partagé de tous : un sentiment de légèreté et de liberté, redéployé dans l’infini, dissous dans l’immensité. LiFang convoque alors une mémoire générique, comme limbique, générant des images semblant nées du seul souvenir. C’est un moment suspendu, à la fois intime et partagé, qu’il nous est donné de prolonger - pour que demeure, ne fût-ce qu’un instant, la fraîcheur estivale et flottante de l’émerveillement.