FORÊT NOIRE

Cedric Le Corf


Loo & Lou Gallery - Haut Marais
20.09 - 28.10.23
 

Il était attendu ce deuxième Solo Show parisien de Cedric Le Corf chez Loo&Lou Gallery. De l’œuvre du jeune artiste d’origine allemande et bretonne, le public avait découvert en 2020 la force d’un travail de sculpture puissant et baroque très prometteur, dans lequel la porcelaine venait s’imbriquer dans le bois. Nées de son expérience madrilène à la Casa Vélasquez, les nouvelles œuvres de Cedric Le Corf ont mis de côté l’usage de la porcelaine pour se concentrer sur les possibilités lumineuses et colorées du bois peint.  

Par ces nouvelles sculptures et hauts-reliefs en bois polychromé, Cedric Le Corf explore l’expressivité des formes, la théâtralité de la couleur et de la lumière. Puisant dans un vaste musée imaginaire qui va du Nord au Sud, créant d’étonnantes déflagrations, cette recherche est empreinte d’une singulière vibration. Il y a bien sûr le goût du tragique venu du baroque espagnol, chargé par l’éloquence de son clair-obscur et sa maitrise des couleurs, tel qu’on peut le trouver dans les sculptures peintes à la chaire cireuse ou à la céramique émaillée de Juan De Juni ou d’Alonso Berruguete. Mais dans cette manière d’attaquer le bois et de travailler la couleur, il y a aussi la survivance d’une tradition allemande. Une tradition qui va de l’héritage rhénan, avec les écoles de bois polychromés ou les réalismes crus de Dürer et de Grünewald ; jusqu’à la puissance de l’expressionnisme allemand d’un Baselitz ou d’un Lüpertz dont le langage tout en tensions et lacérations a marqué l’artiste lors de son expérience berlinoise.

Si les sculptures d’hier privilégiaient la représentation tragique du corps, humain ou animal, dépecé, écartelé et recomposé, les nouvelles pièces aujourd’hui se focalisent sur le thème de la forêt et de la lumière. Elles sont issues de souvenirs d’enfance, écho d’une forêt natale où a grandi Cedric Le Corf, en Allemagne. Mais elles procèdent aussi d’observations plus récentes, lors de balades en terres celtiques où vit à nouveau l’artiste aujourd’hui, dans la vallée du Scorff dans le Morbihan. Immergé en pleine forêt. C’est là que Cedric Le Corf choisit son bois. Erable, châtaigner, chêne, eucalyptus, merisier. Tantôt peint ou laissé brut, c’est toujours un bois suffisamment tendre pour être travaillé rapidement, en suivant le flux spontané des idées et sensations ressenties par l’artiste. Les stimuli sont nombreux dans cet environnement quotidien chargé d’histoire, au cœur d’une nature vibrante. 

Il y a tout près les Porz a maro (les portes de la mort) et le Rocher du diable, où l’océan joue son ode marine, faisant de la roche lissée un relief à part entière. Et il y a l’âme intemporelle de la terre. Ici les restes retrouvés d’un village de l’âge de fer. Là des joyaux médiévaux. Comme l’Eglise Notre-Dame de Kernascleden où se déploie tout en couleurs, sous les voûtes d’un gothique flamboyant, le tournoiement de l’enfer et de sa danse macabre. Comme la chapelle Sainte-Barbe, qu’affectionne aussi l’artiste, pour ses clés de voûtes, ses poudrières et poutres sculptées, métamorphosées en créatures gothiques et monstrueuses. 

Bien sûr de ce contexte prégnant qui a nourri les œuvres, on retrouve l’aspect brut, archaïque, habité, puissamment expressif. On ressent les textures et les odeurs, comme la mousse verte et humide, le goût des champignons ou la dureté granuleuse des murets en pierre. On est imprégné par la lumière qui vibre à travers les feuilles et le miroitement des arbres dans les flaques d’eau. On entend le vent et les remous de la mer qui frappent contre les grands rochers. Un champ marin que l’on retrouve dans quelques gravures, pointe sèche sur métal, exposées aux côtés des reliefs et sculptures. On écoute le temps qui passe au rythme des traces de pas de cerfs ou de crânes de renard imbriqués dans la terre. Comme dans un chemin creux, le travail de Cedric se donne tout en clair et obscur. Intensément dramatique, traversé de puissantes forces vitales et telluriques, il nous plonge dans la beauté du noir. Traversée d’une forêt sombre, percée d’un filet de lumière. Juste assez pour renaitre. 

  • Amélie Adamo, Auteur, critique d’art et commissaire indépendante, Paris, juillet 2023