Le sifflement du geai

Cedric Le Corf


Loo & Lou Gallery - Haut Marais
17.09 - 20.10.25
 

Nourri de ses origines allemandes, de la Forêt-Noire de son enfance et de la peinture baroque qu’il a longuement fréquentée à Madrid, Cedric Le Corf donne aujourd’hui corps à un dialogue entamé il y a quelques années avec le genre du paysage - non comme motif, mais comme espace pénétré, traversé, pleinement éprouvé. De la Bretagne où il s’est installé, l’artiste explore cette zone poreuse entre l’apparition animale et sa dissolution picturale, là où la représentation se fragmente pour laisser place à une sensation incarnée. Ce que la toile révèle, c’est moins une figure qu’une présence mouvante, palpitante, tapie dans les strates d’une matière où l’huile devient territoire et le trait, un seuil. C’est là, dans cet interstice entre figuration et abstraction, entre violence sourde et douceur sylvestre, qu’émerge une perception plus immédiate, quasi organique. Des chiens, des cerfs, parfois une patte, un flanc, une oreille ou un bois surgissent à la surface des tableaux. Parfois seulement une trace, un éclat animal, comme arraché au mouvement. L’œil croit reconnaitre une scène identifiable, presque cynégétique mais c’est plutôt la vision d’un veilleur, une perception fragmentaire, latérale qui se manifeste et fait écho à la figure du geai, cet oiseau-vigie des forêts. Ici, le regard ne vise pas à capturer, mais bien plutôt à capter. Et peindre, c’est faire corps avec l’inaperçu.

Rien ne s’impose, tout s’insinue. Les formes s’entrelacent, se dérobent et in fine se diluent dans un exercice de camouflage. Quelque chose de Matisse affleure dans cette manière d’imbriquer les aplats colorés, dans cette sensualité de la couleur pensée comme matière feuilletée. Des verts acides, des roses tendres et moirés, parfois des nuances plus étouffées, venues de l’ombre – la palette est marquée par le cycle des saisons : rien ne s’affirme et tout se fond parmi les feuillages, branchages et autres frondaisons.

Une absorption mutuelle est à l’œuvre et comme par effet d’une symbiose prononcée, le monde animal en alerte devient partie prenante du massif forestier. Des sculptures en grès prolongent cette réflexion portée sur l’imbrication. Si la porcelaine avait jadis trouvé sa place au cœur du bois, ce sont désormais ces éclats animaliers qui s’agrègent à la chair même de ces paysages sculptés. Et dans l’épaisseur de la forêt, c’est un rapport d’attention que Cedric Le Corf tente de saisir. Soit une manière d’être là, intensément, sans jamais interrompre l’élan du vivant.

 

  • Maud de la Forterie,
    journaliste et critique d'art