Toujours, jamais !

Olivier de Sagazan


Loo & Lou Gallery - Haut Marais
06.06 - 26.07.25
 

LE PEINTRE APPORTE SON CORPS

 

Bien que protéiforme – dessins, peintures, sculptures, performances –, l’œuvre d’Olivier de Sagazan s’impose d’abord par sa très forte unité : des dessins aux dernières performances, quelque chose insiste et un sentiment singulier se fait jour, où se mêlent effroi et exaltation, recul et adhésion, comme si elle venait toucher en nous une force obscure et nous obliger à la regarder en face. Nous sommes aux antipodes de la calme satisfaction esthétique que suscite l’œuvre qui, reposant sagement en elle-même, ne se donne qu’à contempler. Nous sommes arrachés à notre tranquille immanence, projetés vers un autre que nous en nous, une puissance anonyme qui est en réalité plus nous-mêmes que nous, qui nous apprêtions à regarder simplement.

Avec les œuvres d’Olivier de Sagazan, regarder n’est jamais seulement regarder : c’est être destitué de soi et projeté vers ce qui est vu par une force dont toutes les œuvres sont en quelque sorte un concentré ; c’est être enjoint à plonger en deçà du regard pour atteindre cette strate vivante où s’efface la distinction entre le spectateur et le spectacle, le regard et l’œuvre, cette couche anonyme qui fait voler en éclats la différence des consciences et des places.

[…]

Où est alors l’œuvre ? En quoi consiste-t-elle ? Pas dans la gesticulation (la danse) elle-même ; pas non plus dans les visages qu’elle dépose ; elle n’est ni d’ordre dynamique ni d’ordre plastique,, mais à la suture des deux, où plutôt par-delà leur différence : au lieu même de la mise en forme ou de la prise de forme, de la Gestaltung. La performance figure le point insasissable où le geste devient visage, où la danse prend (dans une) forme ; elle met en scène la ligne motrice qui sous-tend toute forme et accomplit en cela la réduction phénoménologique. En d’autres termes, par la médiation de la glaise, de la paille et des pigments, le performeur se fait sa propre œuvre, se donne figure en dansant : il est à la fois l’auteur de l’œuvre et son résultat, la marionnette et le marionnettiste.

[…]

Il y a évidemment une dimension démiurgique de l’œuvre d’Olivier de Sagazan, qui est fasciné par la vie, par le surgissement de la vie, si tant est qu’elle ait jamais surgi. C’est ce surgissement qui son hante son œuvre, tout particulièrement dans les Transfigurations. Il s’agit toujours de donner vie, de se situer à la frontière du vivant et de l’inerte afin de coïncider – tentative sans doute désespérée – avec sa naissance même. De là sa fascination pour les cadavres qui, « dans un geste de bonté », « nous donnent à voir une image du mouvement qui vient de les quitter ». De là aussi le fait que certaines sculptures ne manquent pas de nous y faire penser, tout comme, avec leur regard sans regard, certaines figures tragi-comiques qui ponctuent les Transfigurations. C’est pourquoi Olivier de Sagazan écrit avec humour qu’il ne produit au mieux que des cadavres ambulants et se fait lui-même cadavre lorsqu’il rentre sous sa terre. Encore ne faut-il pas se méprendre sur cette démarche qui, en réalité, est tout sauf mortifère. Il ne s’agit pas tant en effet de régresser de la vie vers un en deçà d’elle-même que, tout au contraire, de mettre en évidence une présence de la vie au sein de ce qui semble dépourvu, en effaçant ainsi d’un seul coup la prétendue frontière entre l’inerte et le vivant. […]

 

  • Renaud Barbaras,
    extrait de Le peintre apporte son corps
    catalogue monographique de Olivier de Sagazan