« Je déteste faire les choses littéralement » : le paradis perdu de Joël Person est avant tout dessiné. Né en 1962, l’artiste français à la carrière déjà bien engagée propose dans ce solo-show une réflexion très personnelle aux allures introspectives. Car sous couvert de son sens de la formule, Joël Person se questionne : en vieillissant, est-ce l’enfance qui apparait comme ce moment d’insouciance à jamais disparu ? Quelle est la part d’universalité dans ces souvenirs lointains et souvent flous propres à chacun ?
À travers une trajectoire monographique dont la proposition essaie d’en parcourir les différents aspects, c’est au fil de ses œuvres que la réponse se dessine.
Ce sont d’abord les « Chevaux de l’Apocalypse », grande cavalcade de plus de 9 mètres de long qui ouvrent la réflexion dessinée de Joël Person. Ses galops se lisent comme une partition monumentale et évoquent, bien sûr, l’expiation religieuse par leur titre. Mais encore une fois rien n’est littéral chez Joël Person et par le cadrage, l’artiste met l’accent sur les chevaux plutôt que sur les « cavaliers », véritable leitmotiv de son travail. Au texte d’origine, c’est ici la puissance du cheval qui vient rythmer la recherche du dessinateur.
La symphonie continue avec le « Cheval à la barre », autre motif récurrent et pivot de la carrière de l’artiste. Le cheval est cette fois-ci celui qui se retrouve enfermé. C’est l’animalité d’autant plus flagrante qu’elle est ferrée, d’autant plus troublante que la tête du cheval appuyée contre la barre ouvre sur l’espace du spectateur. N’est-ce pas le paradis perdu que celui d’avoir domestiqué l’animal pour ensuite l’enfermer ? Par la composition très contemporaine de ce tableau, Joël Person nous interroge sur la liberté qui ne dure qu’un temps, et sur la nature du dialogue que l’on peut établir avec un cheval dont les yeux sont littéralement « barrés ».
Le « Chant de la terre », impassible, reprend une mélopée du renoncement, hommage à une nature qui n’est plus ce qu’elle a été mais qui continue de raisonner en nous. Ce paisible paysage s’abandonne à l’observation aussi bien qu’à la menace : vignobles, cultures, chasseurs, territoires inhospitaliers à la faune et à la flore guettent à la frontière de la feuille de papier. Et cependant le rythme de la terre est toujours là, immuable.
Car si le paradis perdu est, pour Joël Person, très personnel à chacun, le contexte actuel en découvre également sa globalité et son universalité. Guerres, tensions politiques et problèmes écologiques détruisent en rendant périssable la notion même de paradis. Ces deuils quotidiens renvoient à ce qui a été et ce qui n’est plus, et renvoient à notre propre finitude.
Dans ce contexte anxiogène, l’artiste se repositionne sur ce qui a été « perdu » : c’est en rappelant à la mémoire son enfance qu’elle s’imprime en lui avec plus de précision. Les nombreux portraits, dont une sélection est présentée ici, ont parsemé la carrière du dessinateur comme autant de souvenirs immortalisés sur le papier. Sans jamais effacer la pure solitude, c’est aussi la confrontation de l’artiste à un autre « soi » dans une tension offerte à l’éternité. Le paradis perdu, c’est ce que Joël Person retrouve par le dessin, qui lui permet de retrouver les émotions premières, intuitives, et libérées de tout procédé.