Diffractions d’une écriture inconnue
Avec sa série Fragments, Tanc opère une nouvelle variation à l’intérieur de sa propre œuvre. Cette fois, l’artiste inventeur d’écritures abstraites révèle de surprenantes calligraphies diffractées.
Il change sa pratique, et passe d’un flux continu à un flux discontinu. Ainsi le geste ininterrompu qui consistait à recouvrir une surface devient-il l’occasion d’une fragmentation de la surface elle-même. A la belle totalité d’une toile composée comme une page, de la gauche vers la droite, du haut vers le bas, l’artiste préfère la voie du fragment. Diffractant l’Un, il effectue un nouveau découpage interne du tableau. Changer sa syntaxe en changeant son rythme.
Le passage du continu au discontinu, de l’unité à la multiplicité, offre de nouvelles possibilités à l’artiste. L’énergie n’est plus la même. Elle n’est plus le résultat d’un unique flux, mais au contraire d’une multitude de flux.
Tanc procède par dispersion, fragmentation des écritures. D’ailleurs, il commence à travailler sur des fragments de papier disparates qu’il assemble, juxtapose dans des compositions plus larges. L’ensemble forme ainsi un puzzle d’écritures au style déconstruit.
Chaque pièce du puzzle a ses variations. Variations d’échelles et de styles. Le grossissement, ou close-up, permet des découvertes. Il révèle le creusement d’une surface ou un grain inédit d’où surgissent de nouveaux motifs dans la matière picturale. Celle-ci apparaît fluide, disséminée, laissant émerger du vide entre les traits. Les coulures donnent le sens de la gravité à la peinture. Merveilleuses veines du réel.
Traits, coulures, taches forment des écritures segmentées, entremêlées en réseaux. De leur synthèse optique se dégagent parfois des images figuratives : un arbre bleu couché par le vent, des branches qui ploient sous le poids de la neige, des choses indicibles se reflétant dans l’eau, ou, encore, de l’eau qui ruissèle sur les signes d’une écriture inconnue. Il s’agit d’une matière de l’écoulement et du bleu. L’emploi de deux types de bombes, l’une à base de solvants, l’autre à base d’eau, contribue à créer des accidents de textures propices à la rêverie de l’œil.
L’œuvre de Tanc se situe à l’intersection de plusieurs mondes artistiques, la calligraphie orientale, l’action painting américaine, de Franz Kline à Jackson Pollock, le graffiti new-yorkais, la peinture coréenne avec le mouvement Dansaekhwa, et une constellation d’artistes qui va de Cy Twombly à Henri Michaux.
La série Fragments repense la relation entre les différents styles précédemment développés par l’artiste, car elle fonctionne comme une mise en abyme inédite de l’œuvre dans l’œuvre. Car, comme Tanc le dit lui-même, son but est de « réécrire son langage en permanence ».
Par Eric Monsinjon,
Historien et critique d’art
Décembre 2022