Lors de ses études à l’école des Beaux-Arts de Paris, d’où il sortit diplômé en 1986 avec les félicitations du jury, Joël Person put parfaire sa pratique du dessin en se confrontant à l’observation de modèles vivants. Ce souci d’approfondir constamment son regard et sa technique reste aujourd’hui intact quel que soit les thèmes de prédilection qu’il aborde : chevaux, chevelures, corps, portraits ou scènes du quotidien. Il y applique la même rigueur et s’efface derrière la seule exigence du rendu extrêmement précis susceptible de faire surgir la présence même du sujet qu’il dessine.
Très jeune déjà, la pratique du dessin était pour Joël Person l’unique moyen de s’exprimer eu égard à ses problèmes de dyslexie qui le rendait inapte à un système éducatif essentiellement tourné vers l’apprentissage des formes de langages abstraits. Le dessin fut pour lui sa résilience, et sa manière de se réapproprier un monde qui lui échappait.
En pratiquant depuis son enfance le dessin sur le vif, Joël Person est parvenu à une perfection dans son art qui ne se confond nullement avec l’académisme et les pièges d’une virtuosité démonstrative, n’ayant d’autre fin que d’épater un public avide de trompe-l’œil. Sa pratique du dessin n’a rien d’un travail superflu et d’un jeu présomptueux. Son goût du réalisme répond au désir impérieux de saisir une vérité du sujet. Que ce soient avec les immenses fresques de chevaux au galop ou les dessins au format plus modeste, Joël Person inscrit d’emblée son œuvre dans la plus haute tradition picturale héritée de la Renaissance, et celle du romantisme de Delacroix ou de Géricault.
Même lorsqu’il s’inspire des visuels prélevés dans les réseaux sociaux – ceux de CRS, de gilets jaunes ou de migrants - Joël Person retravaille sur le vif chacune de ces images. La reprise par le dessin apporte alors une « plus-value-esthétique » saisissante. Ainsi, celui du CRS qu’il réalise pour la prochaine revue de Frédéric Pajak, dévoile une dimension digne de l’univers de SF d’un RoboCop. Devant les dessins que Joël Person a produit à partir d’images d’internet, nous mesurons l’abîme qui sépare l’attention ouverte par le regard de l’artiste le crayon à la main, et cette perception passive qui alimente notre addiction aux réseaux sociaux.
Joël Person rêve de fonder une école du dessin, à l’instar de cette « école du regard » instituée à Salzbourg par Kokoschka après la Deuxième Guerre mondiale. L’éthique de son art reste fidèle à l’enseignement de Matisse attribuant à l’artiste le rôle de défaire le voile des clichés qui s’interpose entre notre perception et le réel. À l’image de notre rapport aux animaux, ces figures ultimes de l’altérité que l’artiste déconstruit admirablement dans toute son œuvre, en nous invitant à redécouvrir ces maîtres silencieux.
Depuis Freud, nous savons que les grandes œuvres d’art trouvent souvent leur élan à partir d’un souvenir d’enfance rattaché à un contenu émotif mêlant désir et interdit. Joël Person attribue sa fascination pour le motif équestre à sa rencontre infantile avec une statuette chinoise d’un cheval Tang appartenant à sa mère, qu’il lui était strictement interdit de toucher. Par le dessin, il parvint vite à s’emparer de cet univers pulsionnel où la femme et l’animal semblaient intimement liés.
De fait, de nombreux dessins de chevaux de l’artiste rendent perceptible cette ambivalence du désir et de l’effroi, conduisant parfois l’artiste à superposer des motifs aux composantes ouvertement érotiques à celles de la figure équine.
Ainsi, à propos du fusain Robes cabrées nous revient cette observation de Paul Valery à l’égard des dessins de Degas : « Le cheval marche sur les pointes. Quatre ongles le portent. Nul animal ne tient de la première danseuse, de l’étoile du corps de ballet, comme un pur-sang en parfait équilibre, que la main de celui qui le monte semble tenir suspendu, et qui s’avance au petit pas en plein soleil. Degas l’a peint d’un vers ; il dit de lui : Tout nerveusement nu dans sa robe de soie. »
En procédant par la répétition d’une série de chevaux au galop, dont le cadrage resserré sur le poitrail de l’animal accentue le sentiment de puissance et de vitalité, Joël Person offre avec Déferlante une pièce maîtresse à l’art du dessin. On y retrouve toute la tension et l’érotisme des corps cher aux romantiques revisité par la puissance rythmique du all-over. Cette œuvre dont la texture noire du fusain rehausse le sentiment de vitalité musicale éprouvé à sa contemplation, témoigne d’un caractère processuel sans limite. En effet, l’artiste en répétant ces motifs sériels de cavalcade peut multiplier indéfiniment la dimension de sa création, jusqu’à envisager le rêve fou d’en recouvrir la Grande Muraille de Chine !
En déterritorialisant le dessin en tant que medium assigné à une certaine fonction circonscrite à l’espace d’un cadre délimitant une esquisse ou un exercice préparatoire, Joël Person lui ouvre un devenir qui le transporte au-delà de ses limites traditionnelles. N’est-ce pas d’ailleurs la dimension symbolique des chevaux mythiques et légendaires – que ce soient ceux de Neptune ou de l’Apocalypse – qui parcourt l’histoire que de signifier la puissance de transport dont cet animal a condensé les rêves ? C’est la force de l’œuvre de Joël Person de nous emporter avec le seul recours du dessin vers le mystère de l’art ; son insatiable désir d’ailleurs…
— Philippe Godin, Critique d'art