« Tous les grands rêveurs terrestres aiment la terre ainsi, ils vénèrent l’argile comme la matière de l’être. » Gaston Bachelard
Il y a le corps. Modelé, malaxé, trituré, excavé, disséqué. Si doué de fascination, qu’il en est transformé, jusqu’à l’extrême. Entre les paumes d’Olivier de Sagazan, la matière prend vie, s’incarne en doubles inconscients, faisant naître des créatures d’argile qui semblent accoucher de la glaise à l’image des êtres mythologiques s’extirpant avec effort des profondeurs chtoniennes. Emouvantes de maladresse et de dignité, elles sont le reflet malaisant de notre nature profonde, primitive, écho lancinant, déchirant, que nous avons mis des millénaires à refouler. Nées de la terre, encore en partie engluées dedans, elles nous rappellent que nos corps sont faits de la même matrice vitale. De cette « chair monde » conceptualisée par Merleau-Ponty qui envisageait l’univers comme un tout, à travers la corrélation sensible et fondamentale des éléments. Olivier de Sagazan ne cesse d’explorer cette ontologie primordiale, dans un désir toujours plus intense, toujours plus intime, de percer les secrets du vivant.
C’est au paysage qu’il s’attaque désormais. Exit l’humain ? Paysage pressenti comme un corps. « Pour moi, un tableau ou une sculpture est toujours un organisme. Il s’agit d’y amener la vie » exprime-t-il. Face à la toile, l’artiste crée plus qu’il ne peint. A nouveau, ses mains malaxent l’argile en le mêlant cette fois à l’herbe, à la colle, à l’acrylique. Matière composite qui ne sera jamais figée, qui pourra même être ensemencée. Son corps se meut face à cette croûte de matières dont les germinations s’étirent en sous-bois fulgurants. A coups de grands gestes de bas en haut, sans idée préalable, il la rehausse de couleurs vives, y faisant pousser les végétaux vers la lumière dans un élan spontané, irrépressible, d’élévation et de profondeur. La texture se densifie, matiériste, accueillant des reliefs et transcendant toute idée de représentation. La peinture ici n’est pas une image, elle respire, elle devient « être chair », elle est le paysage. Sa texture naturaliste, ses couleurs et sa sensibilité expressionnistes font inévitablement penser aux champs dramatiques d’Anselm Kiefer faits de paille, de boue, de charbon et de plomb. Jaune éclatant, bleu rêveur, vert acide, rouge mystérieux. Chez Olivier de Sagazan cependant, le paysage est tout sauf symbolique, il est l’énergie de la nature dont le corps magique prolonge le nôtre. L’artiste y voit d’ailleurs des autoportraits, comme une transfiguration de son être conscient au sein du végétal. Un désir d’assimilation qui revendique aussi un engagement profond pour imaginer une alliance nouvelle de l’humain avec la nature, cette nature qu’il a à tort oubliée, au point de s’en désincarner. La peinture et la sculpture seraient peut-être les seuls gestes capables de nous faire ressentir ce lien physique, biologique, qui unit notre chair à celle du monde dans une sensibilité insondable. Et c’est en cela que l’art d’Olivier de Sagazan est fascinant.
— Julie Chaizemartin, Critique d’art