Clara Daquin, travaille à Paris en tant que critique d’art et curatrice indépendante. Diplômée de l’École cantonale d’Art de Lausanne (ECAL) en Arts Visuels et de la Sorbonne en Histoire de l’Art, elle a mené une recherche sur les duos et collectifs d’artistes et plus particulièrement sur le processus créatif à plusieurs mains. Diplômée du master en études curatoriales de l’Université Paris Sorbonne, elle réalise des expositions au sein du collectif Mathilde Expose depuis 2015 : Vertige en terrain plat à la galerie Eva Meyer et à la Fondation Brownstone (2016), No man is an Island au Jardin Exotique et au Pavillon Bosio (2017). Elle a collaboré avec le Palais de Tokyo, le Lafayette Anticipations, la Fondation d’entreprise Galeries Lafayette, la galerie Semiose et l’association La Source. Elle écrit régulièrement pour la presse et collabore actuellement avec The Community, collectif, galerie et plateforme pluridisciplinaire située dans le 10e arrondissement à Paris.
La photographie est la matière première de Julia Pitaud, qui l’utilise plastiquement comme matériau de construction poétique. L’artiste pense le corps à la fois à travers les objets qui l’entourent comme le vêtement, seconde peau de l’être humain et le motif du siège, de l’assise et elle s’y intéresse également par le prisme du déplacement. La Chaise (2015) constituée de chambres à air récupérées, est habillée d’images prises lors de voyages à l’étranger. Deux mouvements constituent la pièce : ceux invisibles, d’inconnus à vélo et ceux personnels, de l’artiste en voyage. La Chaise renvoie à une posture statique impossible puisque l’objet semble pris d’une étrange mollesse : c’est l’œuvre qui se détend et non le visiteur. Paris-Alençon (2016) témoigne d’un geste précis : laisser son manteau en arrivant chez quelqu’un. Le trajet auquel le titre fait référence n’est autre que celui réalisé par l’artiste durant des mois dans le but de rejoindre son compagnon. Les images de Paris font corps avec celles d’Alençon, le tronc de l’arbre avec la jambe du pantalon. En 2016, Julia Pitaud est habitée par l’obsession de récupérer des vêtements usés, ayant appartenu à des personnes qu’elle n’a pas connu et ne connaîtra jamais. Elles les choisit blancs, comme une page vierge, pour y transposer plus facilement ses intentions.
Pour Nidgâté (Yuyan Wang + Qin Han) le corps est déjà présent dans le nom du duo : Nidgâté dans l’Asie ancienne signifie « mains à la peau rugueuse, sans compétence, ni expertise ». Ce n’est donc par un hasard si le film The Devil In The Details (2017) propose une anthologie de gestes. Sur un fond sonore composé de claquements de doigts, le film montre des gestes sans restriction de genre : une main recueille un papillon, une autre attrape une mèche de cheveux. De ces « compagnes inlassables », Henri Focillon disait : « La main est action : elle prend, elle crée, et parfois on dirait qu’elle pense. ». Dans That Day (2017) le corps au contraire est absent de l’image. Accompagnée d’un extrait sonore issu d’une séance de relaxation dédiée à l’épanouissement personnel, la vidéo présente des déplacements au sein de divers intérieurs. Sur le mode de l’appropriation, les artistes ont collecté des extraits provenant de films d’horreur, où les corps sont absents de l’image mais pas de la narration. L’attente est continue et le film joue sur nos constructions mentales et narratives.
Dans ses peintures, Chloé Julien, un peu étourdie, se colle du Caramel dans les cheveux (2010) et perçoit la vie comme un éternel recommencement, tel le personnage Sisyphe (2008) destiné à pousser sa pierre en haut d’une montagne, indéfiniment. L’artiste se trouve parfois un compagnon avec lequel partager ses joies comme dans Sur ton dos (2008). Les aquarelles de Chloé Julien dessinent un espace corporel contorsionné, qui se propage, déborde, se dérobe et entre en fusion. L’artiste affirme le chaos comme état permanent. De quel chaos s’agit-il, de quelle tension ? Celle entre l’âme et le corps ? L’âme dans ces dessins se répand, s’immisce, s’insère, envahit à la manière d’une forte émotion. Le corps de Chloé Julien est sans organes : il n’est, en effet, habité que de l’âme. Il est ici représenté par ce qui le constitue entièrement, matières à la fois invisibles et charnelles.
À travers deux sculptures anthropomorphes, Florian Mermin nous invite dans un monde onirique où l’on retrouve l’inquiétante étrangeté freudienne. Bouche d’égouts (2013) semble composée de grosses meringues sucrées, en s’y approchant de plus près, on aperçoit dans le plâtre de drôles de dentiers. Lorsque Florian Mermin s’intéresse au corps c’est toujours pour intégrer une part de rêve dans une réalité très concrète. Ces bouches dépourvues de langage semblent manger ou déglutir et le rose de leur socle ressemble à celui de nos gencives. L’œuvre Peaux (2015) est composée de deux gants en bronze disposés sur un bureau en bois. On ne peut qu’imaginer l’histoire de cette pièce hors du temps : un monstre aurait-il déposé ses mains avant d’entrer ? Ou ces gants servent-ils à cacher des mains rugueuses et laides ?
Inès Panizzi a réalisé cette série de dessins lorsqu’elle se trouvait au Col d’Allos dans les Alpes du Sud. En pleine montagne, l’artiste pratique le même rituel : elle se lève, fait du thé, y trempe ses feuilles puis sort du chalet pour se promener dans la montagne. Inspirée par sa balade matinale, durant laquelle elle a respiré des centaines de micro-organismes, vu des insectes et des animaux, elle rentre et réalise ses dessins. Durant ces marches, elle crée des liens entre les astres, les êtres vivants et les insectes qui l’entourent et dessine ensuite des éléments presque identifiables : des étoiles, des plantes, des animaux. Ces dessins, comme de petites cosmogonies, font le récit d’interactions entre le proche et le lointain, le minuscule et l’immensité, le macro et le microscopique.