Auteur/autrice : Nina lashermes

LE SIFFLEMENT DU GEAI
Cedric Le Corf
17.09.2025 – 30.10.2025

Le sifflement du geai

Cedric Le Corf

Loo & Lou Gallery – Haut Marais
17.09 – 30.10.25
 
  • Entre chien et loup II, 2025, Huile sur toile, 97 x 70 cm
  • Torpeur II, 2025, Huile sur toile, 97 x 70 cm
  • Entre chien et loup III, 2025, Huile sur toile, 97 x 70 cm
  • La chute, 2025, Huile sur toile, 195 x 150 cm
  • Le sifflement du geai, 2025, Huile sur toile, 195 x 155 cm
  • Torpeur I, 2025, Huile sur toile, 140 x 119 cm
  • Vue d’exposition, 2025 | © Aurea Calcavecchia
  • Vue d’exposition, 2025 | © Aurea Calcavecchia
  • Vue d’exposition, 2025 | © Aurea Calcavecchia
  • Vue d’exposition, 2025 | © Aurea Calcavecchia
  • Vue d’exposition, 2025 | © Aurea Calcavecchia
  • Vue d’exposition, 2025 | © Aurea Calcavecchia

Nourri de ses origines allemandes, de la Forêt-Noire de son enfance et de la peinture baroque qu’il a longuement fréquentée à Madrid, Cedric Le Corf donne aujourd’hui corps à un dialogue entamé il y a quelques années avec le genre du paysage – non comme motif, mais comme espace pénétré, traversé, pleinement éprouvé. De la Bretagne où il s’est installé, l’artiste explore cette zone poreuse entre l’apparition animale et sa dissolution picturale, là où la représentation se fragmente pour laisser place à une sensation incarnée. Ce que la toile révèle, c’est moins une figure qu’une présence mouvante, palpitante, tapie dans les strates d’une matière où l’huile devient territoire et le trait, un seuil. C’est là, dans cet interstice entre figuration et abstraction, entre violence sourde et douceur sylvestre, qu’émerge une perception plus immédiate, quasi organique. Des chiens, des cerfs, parfois une patte, un flanc, une oreille ou un bois surgissent à la surface des tableaux. Parfois seulement une trace, un éclat animal, comme arraché au mouvement. L’œil croit reconnaitre une scène identifiable, presque cynégétique mais c’est plutôt la vision d’un veilleur, une perception fragmentaire, latérale qui se manifeste et fait écho à la figure du geai, cet oiseau-vigie des forêts. Ici, le regard ne vise pas à capturer, mais bien plutôt à capter. Et peindre, c’est faire corps avec l’inaperçu.

Rien ne s’impose, tout s’insinue. Les formes s’entrelacent, se dérobent et in fine se diluent dans un exercice de camouflage. Quelque chose de Matisse affleure dans cette manière d’imbriquer les aplats colorés, dans cette sensualité de la couleur pensée comme matière feuilletée. Des verts acides, des roses tendres et moirés, parfois des nuances plus étouffées, venues de l’ombre – la palette est marquée par le cycle des saisons : rien ne s’affirme et tout se fond parmi les feuillages, branchages et autres frondaisons.

Une absorption mutuelle est à l’œuvre et comme par effet d’une symbiose prononcée, le monde animal en alerte devient partie prenante du massif forestier. Des sculptures en grès prolongent cette réflexion portée sur l’imbrication. Si la porcelaine avait jadis trouvé sa place au cœur du bois, ce sont désormais ces éclats animaliers qui s’agrègent à la chair même de ces paysages sculptés. Et dans l’épaisseur de la forêt, c’est un rapport d’attention que Cedric Le Corf tente de saisir. Soit une manière d’être là, intensément, sans jamais interrompre l’élan du vivant.

 

  • Maud de la Forterie,
    journaliste et critique d’art

CREUSER
Bastien Vittori
17.09.2025 – 30.10.2025

Creuser

Bastien Vittori

Atelier Loo & Lou – Haut Marais
17.09 – 30.10.25
 
  • Ventre, 2025, Fusain sur papier, 100 x 100 cm
  • Vague (détail), 2023, Fusain sur papier, 200 x 150 cm
  • Hangar, 2025, Fusain sur papier, 184 x 150 cm
  • Vue d’exposition, à l’Atelier, 2025 | © Aurea Calcavecchia
  • Vue d’exposition, à l’Atelier, 2025 | © Aurea Calcavecchia
  • Vue d’exposition, à l’Atelier, 2025 | © Aurea Calcavecchia
  • Vue d’exposition, à l’Atelier, 2025 | © Aurea Calcavecchia
  • Vue d’exposition, à l’Atelier, 2025 | © Aurea Calcavecchia
  • Vue d’exposition, à l’Atelier, 2025 | © Aurea Calcavecchia

Le dessin est, pour Bastien Vittori, un moyen d’explorer une image, un procédé pour comprendre ce qu’il a vu, ce qui l’a arrêté lors de ses pérégrinations, que ce soit dans une ville, une campagne, une forêt ou en bord de mer. Il se laisse porter par un territoire jusqu’à être saisi par un point de vue sur un champ, par une lumière qui traverse un hangar ou qui devient ombre, par un rayon de soleil qui s’accroche sur des sacs poubelles ou danse sur une mer agitée. Il n’y a pas de hiérarchie entre les sujets – seule la dimension poétique compte – et l’artiste est opposé à toute idée de série. Le domaine des possibles est si vaste qu’il se refuse à faire deux fois le même sujet, de s’enfermer dans un systématisme. Idéalement, chaque dessin est un nouveau sujet, une nouvelle opportunité d’aborder un motif sous une autre facette. Son approche traduit une façon de s’engager dans le réel à partir du corps, de la matière, du toucher. C’est une affirmation d’un point de vue, du positionnement du regard. Soit, si on prend un peu plus de hauteur, de poser la question de la place de l’homme dans l’univers.

Par sa distance avec le réel et par l’intention qui l’anime, il nous fait basculer dans l’imaginaire. « Le vocable fondamental qui correspond à l’imagination, ce n’est pas image, c’est imaginaire. La valeur d’une image se mesure à l’étendue de son auréole imaginaire », écrivait Gaston Bachelard, auteur que Bastien Vittori cite volontiers. « Travaillant d’après la photographie, j’explore les imbrications de formes auxquelles je fais face chaque jour : la transparence des feuilles et leur chatoiement, l’aspect tacheté des troncs d’arbres, la soie d’un vêtement. Tout cohabite, s’imbrique, s’encastre, se touche. Dessiner au fusain c’est creuser dans les formes et leur surface, creuser en frottant la page. » Si son point de départ est la photographie, il ne tombe jamais dans le photoréalisme. Il garde la composition générale, ce qui lui permet de se libérer du sujet d’une certaine façon, et commence véritablement à regarder et à convoquer son imagination. Il trace sa ligne sur la feuille, gomme, recommence inlassablement dans un aller-retour pris dans un jeu d’oppositions entre cacher et dévoiler, effacer et révéler, remplir la surface et laisser des espaces vides. Les blancs s’opposent aux noirs ou se fondent dans les noirs. C’est cette accumulation qui donne du corps à ses dessins aux fusains condensés, proches des noirs de gravures. Très mats, très chauds. « Avec ce médium, on déplace plus qu’on ne gomme. Je pose ma matière sur la feuille, ensuite, je la déplace, ce qui à terme crée du mouvement grâce aux accumulations de gestes. »

 

  • Stéphanie Pioda, historienne de l’art

EXPOSITION
Aurélie Deguest
06.06.2025 – 26.07.2025

Exposition

Aurélie Deguest

Atelier Loo & Lou – Haut Marais
06.06 – 26.07.25
 
  • Vue d’exposition à l’Atelier, 2025 | © Aurea Calcavecchia
  • Vue d’exposition à l’Atelier, 2025 | © Aurea Calcavecchia
  • Vue d’exposition à l’Atelier, 2025 | © Aurea Calcavecchia
  • Vue d’exposition à l’Atelier, 2025 | © Aurea Calcavecchia
  • Vue d’exposition à l’Atelier, 2025 | © Aurea Calcavecchia
  • Vue d’exposition à l’Atelier, 2025 | © Aurea Calcavecchia

Aurélie Deguest a un rapport quasi donjuanesque à la peinture. Elle se sent parfois un cœur à peindre tout ce qui s’offre à son regard. C’est sans doute le caractère protéiforme de ses dons de peintre, qui lui ont permis de conquérir avec une facilité surprenante toutes les techniques de cet art, afin d’en honorer la plupart des motifs et des styles.

Elle est aussi prompte à exécuter des portraits réalistes emprunts d’une spiritualité poétique, comme dans sa série “Femmes en prière” présentée à la foire JUSTLX en 2022, que susceptible d’affirmer une peinture pleinement expressionniste, à l’image de sa dernière exposition personnelle Faces, à la Loo & Lou Gallery en 2015. Outre sa maîtrise du dessin et des couleurs, l’artiste étend aujourd’hui son habileté dans cette présente série, à l’exploration d’une abstraction matiériste, fruit de ses nouvelles expérimentations des surfaces, dont elle propose une somptueuse variation d’effets de texture et de rythme.

Bien plus que la toile blanche, c’est donc l’imposante variété de toutes ses dispositions picturales, qui peut susciter chez elle, une forme de vertige intranquille : que peindre maintenant ? On sait d’ailleurs, depuis Deleuze, que « ce serait une erreur de croire que le peintre travaille sur une surface blanche et vierge. La surface est tout entière investie virtuellement par toutes sortes de clichés avec lesquels il faudra rompre ».

L’artiste s’astreint donc à une sorte de réduction picturale chère aux tenants de l’expressionniste abstrait, afin de revenir à l’objet même de sa passion : la peinture.

Les quatre œuvres présentées dans l’atelier de la Loo & Lou Gallery, témoignent ainsi d’une mise en crise radicale de sa démarche : ici, pas de cadre, ni de titre, pas de calligraphie, pas d’espace, ni de temps, aucun objet, aucun sujet, ni de dessin explicite… Aurélie Deguest parvient à forclore de la surface de la toile, ce qui n’est pas propre à la seule peinture ; isolant ainsi l’œuvre de toute référence extérieure.

Sa peinture ne propose nullement une vue distanciée à caractère illustratif, voire paysagiste de l’élément aquatique, mais semble plonger le regard du spectateur dans la viscosité insaisissable d’une eau profonde. D’où le caractère japonisant de certaines de ses œuvres, qui peuvent évoquer, par ailleurs l’esprit de la peinture chinoise, dont le philosophe François Cheng disait qu’elle

« saisit le monde au-delà de ses traits distinctifs et dans sa transition essentielle ».

Pour conjurer l’espace vide d’un fond uniformément blanc, elle recouvre sa toile d’une trame préparatoire à sa peinture, en usant quelquefois de bandes de toiles noires, impulsant un rythme visuel à sa future composition.

A la fois méditative et matiériste, chaque composition peut, alors, suggérer tout à la fois la surface d’une eau en proie à la fluidité de son ressac incessant, l’empreinte d’une peau de pachyderme ou la mue d’un reptile, les plissements telluriques d’une concaténation de lave refroidie. Épiderme de la terre et mémoire des étoiles, la toile prend aussi des allures de tapisserie ensorcelée, enveloppant dans ses plis infinis, un feuilletage de toiles mêlées à l’épaisseur de la peinture séchée.

La surface du tableau se gaufre, alors, des anfractuosités d’un paysage stellaires, sillonné de crêtes, et de crevasses éruptives.

En renonçant à encadrer et à tendre ses toiles sur un châssis, l’artiste se libère, enfin, du symbole d’une peinture surcodée, où règne encore l’emprise d’une fonction imageante trop exsangue à son goût.

D’où son besoin, peut-être, de se confronter à cette « nuit du logos », dont parlait le poète Francis Ponge, en érigeant le noir comme la couleur dominante de ses œuvres, qu’elle pondère subtilement avec des contrepoints de blanc terreux, bleuâtre, évoquant tout autant la genèse du monde que son apocalypse.

La tonalité nocturne des toiles d’Aurèlie Deguest laisse entrevoir, parfois, des formes évanescentes à la manière d’un spectre d’Ophélie. Cette peinture semble, alors, se jouer dans d’entre-deux obscur de la matière et du songe, de la présence et de l’absence, plongeant ses ombres errantes dans la profondeur des eaux du Styx, dont la légende dit qu’elles permettaient d’emporter les âmes défuntes vers le royaume des morts.

En choisissant d’installer sa peinture dans l’atmosphère nocturne, la peintre sait sûrement que la nuit est aussi ce pathos propice à toutes les renaissances. Novalis n’appelait-il pas la nuit le « lieu des révélations » (Offenbarungen) ; dans lequel le germe travaille au cœur des profondeurs maternelles du sol où se prépare son avènement à la lumière.

D’ailleurs la peintre ne transforme-t-elle pas le noir en couleur lumineuse, en se livrant à une somptueuse variation d’effets de lumière, à travers les mats et les brillants de ses outrenoirs ? A cet effet, la peinture est souvent rehaussée de gloss pour parfaire de brillants les surfaces qu’elle finit par lisser au couteau, contribuant à faire de la toile, une ode vibrante aux effets de matière sublimées.

L’artiste accorde, de la sorte, un soin particulier aux textures de ses œuvres, préférant se servir notamment de grossières toiles de jute ou d’épaisses draperies comme autant de supports de ses peintures, afin d’en renforcer leur caractère tactile ? En se jouant, ainsi, des oppositions nuit/lumière, diaphane/ obscur, lisse et rugueux, optique/haptique…Aurélie Deguest s’empare du conseil de Bachelard fait à l’imagination du poète : celui de travailler les substances qui sont les plus contrastées et aptes à éveiller la rêverie poétique. L’artiste invite ainsi le spectateur à laisser son regard errer au gré des surfaces de ses toiles, en retrouvant peut-être ces sensations perdues que nous apportons tous en naissant.

 

  • Philippe Godin, critique d’art

BASTIEN VITTORI

Écrit par Nina lashermes le . Publié dans artistes.

Ventre, 2025, fusain sur papier, 100 x 100 cm © Bastien Vittori

BASTIEN VITTORI

 

Bastien Vittori développe une pratique qui interroge la matérialité des images et les seuils de perception qu’elles génèrent. Il travaille principalement à partir de la photographie, envisagée non comme une simple captation, mais comme un objet, un support, un espace de transformation. Ce médium constitue souvent le point d’entrée vers d’autres formes plastiques telles que le dessin, l’installation, le transfert, qui permettent de prolonger les images en déplaçant leur contexte ou leur support.

Ce déplacement s’opère comme un principe méthodologique. Par analogie avec des phénomènes physiques comme la sédimentation, l’effacement, l’encastrement, l’artiste engage un processus de recomposition. Il isole des fragments, des textures, des flux d’images numériques, et les transpose dans d’autres régimes de matérialité. Ses œuvres rendent sensible la manière dont les images contemporaines circulent, s’accumulent et se déposent.

En parallèle de sa recherche artistique, il mène des projets pédagogiques en lien avec ses thématiques de prédilection. La transmission, qu’il a pu expérimenter dans divers milieux, lui a permis de découvrir la richesse et la singularité des rapports que chacun entretient avec l’art, la culture et son environnement. Ces expériences nourrissent sa pratique et renforcent son intérêt pour des projets où création et partage se rejoignent, ouvrant des espaces de réflexion collective.

CURRICULUM VITAE

Formation

2021 – 2023
Diplôme National d’Études Plastiques
Mention « Art et récit »
École Européenne Supérieure d’Arts de Bretagne, Lorient (site de)

2019 – 2021
Diplôme National d’Art Félicitations du jury
École Européenne Supérieure d’Arts de Bretagne, Lorient (site de)

2018 – 2019
Classe préparatoire aux écoles d’art (CPES – CAAP)
Lycée Rosa Parks, Paris

Expositions et résidences

2025
– Exposition personnelle Creuser
Atelier Loo & Lou, Paris
– Résidence de création
Atelier de l’Achille, Saint-Malo
– Exposition personnelle Le devenir en surface
Le Tzara, Paris

Depuis 2024
Résident permanent
« Love Letter », atelier collectif, Bagnolet

2023
Résidence artistique Luciole
Association Tournefou,  Aix-Villemaur-Pâlis

2023
Exposition collective Fragments vagabonds
Galerie du Faouëdic, Lorient