Tanc
Tanc est né en 1979 à Paris, où il vit et travaille. Tanc a déjà exposé à travers le monde. Ce qui le caractérise, c’est l’unicité de son style, une caractéristique qu’on comprend plus quand on apprend que Tanc a grandi avec le graffiti. Il considère que l’art de la rue est éphémère et que l’action est plus importante que le résultat. Pour lui « artiste est un mode de vie », l’investissement doit être total et l’intégrité absolue. Au début des années 2000, il se concentre sur un travail d’atelier et se démarque tout de suite des graffeurs traditionnels par son travail basé sur le trait. Une recherche sur la synthèse. D’abord de son nom, puis de celle des tags en général, puis des personnes, de la musique, et pour finir de son sujet préféré : la vie.
Essentiellement basé sur le trait, son travail ne cherche pas à être parfait mais plutôt spontané. C’est l’état dans lequel il est qui va définir sa densité et sa rigueur. Son rythme cardiaque actionne son bras à la manière d’un métronome, il ne doit pas essayer de contrôler ce flux mais juste de comprendre la composition qu’il fait apparaître en équilibre entre son conscient et son inconscient. Il compose sa musique et ses toiles d’une manière spontanée.
Il est dense ou léger, rigoureux ou déstructuré, Tanc ne joue pas, il vit son art. Il signe ses toiles « Tanc » comme il signe les murs de ses tags depuis l’adolescence. Cette discipline est d’abord l’exutoire instinctif d’un besoin d’expression : il se réapproprie l’espace urbain en criant son nom à la ville avec force.
Bientôt, les lettres disparaissent et Tanc s’engage dans une recherche formelle abstraite. En concentrant son travail sur le trait et la couleur, il renouvelle la recherche picturale classique en la confrontant à la vivacité première de l’art de la rue : prépondérance de l’action, perfection du geste, acceptation de l’aléa et expression d’une singularité forte. Avant tout, ses œuvres frappent par leur intensité, leur musicalité et la vibration des lumières et des matières. L’action, l’énergie et l’émotion de l’artiste touchent le spectateur de la façon la plus sensuelle, intime et immédiate.
Tanc compte de nombreuses expositions collectives et individuelles, notamment en Allemagne (Skatlizers Contemporary Art), à New York (Catherine Ahnell Gallery), en Angleterre (The French Art Studio) et au Maroc (David Bloch Gallery). Il a également participé au Mois de la francophonie à l’Institut français de Beyrouth en 2013.
Entretient de l’artiste par Judith Peyrat
Aussi subjectif que cela puisse paraître, peux-tu rapidement décrire ton parcours ?
Mon parcours commence enfant, je découvre la peinture par plusieurs biais… l’un d’entre eux me parle et me donne l’envie d’en réaliser, c’est le graffiti. Je commence à beaucoup peindre, au départ des formes abstraites, des traits, couleurs et effets… pour en venir à exister dans ce milieu en écrivant mon nom.
Mes premières expositions se situent début 2000 avec l’engouement que commence à susciter le Street-Art. À cette époque, je suis récemment diplômé d’un Master en Direction artistique et le choix de suivre le rêve ou la raison se pose. Je choisirai le rêve. Après la rencontre avec Jean Faucheur et nos collages d’affiches avec le collectif « Une Nuit », je m’entoure de mes amis les VAO pour prendre un atelier à la forge de Belleville. Les expositions se suivent à rythme régulier, les premiers voyages, résidences… Je ne gagne pas beaucoup d’argent mais il me parait si facilement gagné face à la vie que je mène. Je peins et fait la fête, partout, tout le temps. Je veux tout vivre ! Sept ans se passent et je termine par partir avec L’Atlas dans un nouvel atelier aux Lilas. Une nouvelle ère. Je deviens plus consciencieux, plus sérieux, plus pro. Le rêve était devenu réalité, il fallait penser à de nouveaux objectifs. C’était il y a six ans. Aujourd’hui, je continue mon chemin dans le monde de l’art au fil des expositions et des rencontres. C’est amusant, plus je me rapproche de mon objectif plus j’ai l’impression que la route est longue. Life is a performance !
On observe un intérêt particulier pour le geste dans tes œuvres, quelles sont les influences derrière cette primauté à l’action ?
Bien qu’amoureux de différents types de représentation dans l’art, je me sens en phase avec l’Action painting et l’abstraction lyrique. L’émotion qui résulte dans sa pratique n’a pas d’égal pour moi. Le geste y est prédominant et singulier. Il est, même dans un schéma établi, la touche humaine, transmission du peindre au spectateur à travers les époques. Instants figés à jamais. C’est cette intimité qui m’intéresse dans le geste.
Pour toi, le plus souvent l’action prime sur le résultat, à quel moment de la création choisis-tu de privilégier l’un ou l’autre ?
L’action prédominant sur le résultat et devenue une philosophie de vie pour moi. C’est le départ de ma production. Je pense que trop de connaissances et de réflexions en histoire de l’art et trop de réflexion à trouver un nouveau concept pour s’intégrer à l’art institutionnel en France (art contemporain), cloisonne dans une réflexion qui est rarement constructive. Je suis un peintre conceptuel, mais le rapport à la matière est primordial pour moi. Je n’adhère pas à ce que l’idée suffise à être artiste et que la réalisation n’est qu’artisanat.
L’action est concrète. Elle ne triche pas, brise les rêves et conforte les acquis.
Elle est le chemin, l’expérience, qui apporte la maturité.
Le résultat est déterminé plus par une adéquation entre l’idée que j’ai du rendu de l’outil employé et son rendu final. C’est encore dans l’action que je vais trouver le plaisir de trouver les aléas qui vont donner le prestige du résultat. Il sera, qui plus est, encensé et détesté, parfois par les mêmes personnes à travers le temps. Le beau étant révolu dans l’art contemporain, les goûts évoluent à travers les concepts et les processus. Le mien étant de privilégier l’inconscient dans ma création. Je préfère réfléchir au résultat avant et après l’action.
D’abord du lettrage, tu es passé à des formes plus abstraites, était-ce la suite logique de ta démarche ?
Mes recherches, depuis que je travaille en atelier, vont vers l’abstraction, j’y trouve plus d’émotion. Dans la rue, c’est différent. L’impact des lettres a une autre résonance. Mais les frontières restent floues pour moi. A quel moment une lettre devient-elle forme abstraite ? C’est là que je m’amuse à trouver les limites en y intégrant de nouvelles inspirations de mes voyages, revenant plusieurs fois sur mes traits, grattant la toile, créant volume, profondeur et vibration picturale.
Il ne faut pas oublier que ma démarche est de peindre par processus où je laisse mon inconscient s’exprimer. Sorte d’état entre la transe et la méditation, une thérapie pour moi (un petit peu comme Sam Francis à l’époque).
Plus je me laisse de spontanéité, plus je me laisse aller, plus la peinture sera bien effectuée (belle). La confiance en moi est primordiale. Comme le calligraphe, j’ai répété mon geste, je dois être sûr, ne pas réfléchir. Juste apprécier les aléas des formes qui en découlent.
Est-ce que l’expérience influence ton travail ? Comment cela nourrit ta création et se reflète dans tes réalisations ?
L’expérience influence mon travail à travers mon être, intellectuellement aujourd’hui, physiquement demain ? Je pense à Hans Hartung que j’aime tant. La confiance en soi s’acquiert au fil du temps. Les sensations que m’ont apportées la vie ont souvent eues des impacts dans ma peinture. Je repense à des ruptures qui ont été très profitables d’un point de vu pictural. J’aime que ma peinture soit le reflet de ma vie. Ma série Variations en est le parfait exemple. Un trait fait d’un geste synthétise mon état émotionnel en remplissant la toile. Sorte d’électrocardiogramme de l’instant vécu lors de l’action.
Quels sont les artistes qui pour toi ont eu une importance majeure dans ta recherche artistique ou qui ont attiré ton attention récemment ?
J’ai commencé à vouloir peindre en découvrant le graffiti et des artistes comme Dondi et Futura 2000. Puis, je me suis intéressé à l’Histoire de l’Art et je suis tombé sur l’Expressionnisme Abstrait et l’École de New York. De l’action painting de Franz Kline à la plénitude de Mark Rothko. C’était fait, mon art partirait de ces deux mouvements. À la suite de ça, des artistes comme Bernard Frise, Simon Hentaï, Henri Michaux ou Christopher Wooll m’ont inspiré. Depuis 4 ans, je suis aussi très friand de peinture coréenne, Dansaekhwa avec des artistes comme Park Seobo, Chung Chang Sup, Lee Seung Jio, Lee Bae.
J’ai aussi un regard sur le futur et suis beaucoup ma génération. Des artistes comme KR, Pablo Tomec, Erosi, Revok. Il y en a tellement…
On parle souvent de ta recherche sur la synthèse, peux-tu nous en dire plus ?
J’ai commencé à travailler sur la synthèse des tags, ou plutôt sur leur énergie. Je voulais la retranscrire sans reproduire les toiles déjà réalisées dans les années 80.
Par ce biais, je me suis rendu compte que je pouvais synthétiser les lumières, les émotions, les fréquences qui m’entouraient par des traits et des couleurs.
La synthèse m’a poussé au minimalisme, puis à l’étendre au maximalisme (reproduction du même motif sur tout l’étendu du format).
Penses-tu que la collaboration entre artistes joue un rôle important dans ta pratique ? (Tu partages ton studio avec l’artiste L’Atlas, mais également dans le monde du street art, crew, etc)
La collaboration entre artistes est importante d’un point de vue moral. On se sent souvent isolé, tourmenté de savoir si notre art suscite et suscitera assez d’enthousiasme pour qu’il soit conservé et restauré. C’est dans ce sens qu’il est nécessaire de discuter de nos réflexions et célébrer nos réussites. Être reconnu par ses pairs et ses confrères est plus important pour moi que quelques tableaux vendus.
Pour ce qui est de réaliser des œuvres à plusieurs je suis plutôt sceptique… à part certains projets comme avec Steph Cop pour la biennale de Marrakech 2016 ou L’Atlas avec qui nous partageons nos critiques pour réaliser des toiles à quatre mains. Il est souvent difficile d’être dans le partage plutôt que dans la compétition. Les artistes ont de forts égos, ce n’est pas toujours facile à gérer…
On te relie souvent au mouvement Graffuturism, concèdes-tu appartenir à ce mouvement ?
Je ne me considère vraiment dans aucun mouvement, l’avenir nous le dira…
J’ai cru au début au Graffuturisme car je trouvais que le Street-Art (qui est à l’origine un groupe d’une vingtaine d’artistes dans le monde) était devenu une niche où l’on casait tout et n’importe quoi. Malheureusement c’est devenu très vite la même chose. En gros, ces mouvements qui partent d’artistes issus du graffiti ayant eu une réflexion pour aboutir sur une nouvelle forme d’art se font à chaque fois polluer par des artistes arrivistes qui sont juste dans la forme. Aucun « background » ni fond.
Te fixes-tu des limites dans l’utilisation des médiums ?
Je n’ai comme limite dans l’utilisation des médiums que leur maitrise.
En tant qu’autodidacte, j’ai testé beaucoup de choses. Souvent avec réussite mais parfois avec des loupés, souvent avec le temps. Cela m’a dirigé dans leur utilité. Aujourd’hui, je continue mes recherches mais je n’hésite plus à faire appel à un spécialiste pour apprendre. Il est important de connaitre ses capacités. L’orientation de l’utilisation d’un outil et l’importance de se faire assister ou pas.
J’ai commencé à peindre à la bombe de peinture il y a vingt ans de ça et il reste de loin mon outil de prédilection. Une extension de mon être. Peindre sans toucher le support, c’est une sensation inégalée pour moi.
Comment vois-tu l’institutionnalisation des pratiques artistiques (ou même plutôt de la tienne plus particulièrement) en milieu urbain ?
Je suis pour la reconnaissance des pratiques artistiques par les institutions, au musée comme dans l’espace publique. Mais en même temps, je suis un défenseur d’actions sauvages, souvent illégales. Les risques pris et la rapidité d’exécution donne une touche plus romantique à mon goût. Il ne faut pas oublier que je privilégie l’action au résultat. Dans les villes, les gens ont besoin de s’évader, l’art et un très bon moyen. Je pense au bonheur que j’ai de passer devant des graffitis depuis que je suis enfant… ça a changé ma vie.
Les institutions suivent aujourd’hui le marché de l’art. Avec la monté spéculative qu’engendre le Street-Art, il faut s’attendre à en voir de plus en plus autour de nous. Il a déjà été exposé au Grand Palais, au Palais de Tokyo et au centre Pompidou …
C’est le parcours de toute pratique et tout artiste. Après ce sont des cycles. Il y aura toujours des jeunes qui viendront casser les barrières établies pour que l’art ne soit pas qu’institutionnel. L’art est générationnel, chacun le sien.
L’idée du vandale effectuant un tag, est-ce toujours le cas ou est-ce que c’est pour toi plutôt devenu un imaginaire lié à cette pratique ?
On ne peut pas tricher avec la peinture et encore moins avec le tag. C’est facile de savoir qui fait quoi, il suffit de sortir dans la rue. Donc, non ! ça n’a rien d’imaginaire. Après, je suis loin d’être aussi accro que certains ou même que plus jeunes. Écrire son nom illégalement m’a amené là où j’en suis et je veux rester sincère avec cette démarche (je ne parle pas du plaisir que je prends à l’effectuer).
La réalité est que ça apporte une force à mon travail d’atelier que je perds si je n’y retourne pas.
Tu es aussi musicien, tout cela trouve-t-il un point de reliure dans ta création, ou peux-tu nous en dire plus à ce propos ?
J’ai toujours été fasciné par la musique ! C’est l’art le plus facile à apprécier, pas la peine d’intellectualiser. On la ressent physiquement.
Tout le monde vous donnera son avis sur un morceau ou un genre de musique, il en sera tout autre pour la peinture… Par contre, en jouer d’une manière autodidacte est assez difficile. J’ai dû trouver les bons instruments pour arriver à en réaliser seul. Nous sommes début des années 2000, la musique est en majeure partie produite par ordinateur. Lassé d’avoir trop travaillé avec cet outil durant mes études de graphisme. Je cherche dans les magasins de musique de Pigalle les différentes options qui s’offrent à moi. Je déciderai de m’acheter une première machine (séquenceur, boîte à rythme, synthétiseur). Je trouve fascinant de travailler la musique en direct. Sentir l’électricité devenir fréquence, onde, note… Sans m’en rendre compte, ces recherches sont en train d’influencer ma peinture dans une recherche abstraite et compléter mon personnage. Je ne cesserai dès lors de travailler ces deux disciplines en parallèles. Je dis souvent que mon bras est actionné par mon cœur comme un métronome qui retranscrit mes émotions. Je peins ma musique intérieure.
Quels sont tes projets en cours ou collaborations, expositions, nouveaux travaux à venir ?
Je suis toujours sur plusieurs séries de peintures, certaines seront visibles bientôt, d’autre dans plusieurs années.
Pour en voir, c’est actuellement à la Loo&Lou galerie à Paris, puis à partir du 18 janvier au côté de L’Atlas à la COX galerie de Bordeaux. En février, à la galerie Brugier Rigail pour une exposition collective et au printemps en Allemagne pour la biennale d’Art Urbain…
Pour les collaborations, les tissus Olivade vont sortir trois motifs de ma création et j’ai des projets d’éditions de parquets et de moquettes.
Plusieurs livres, lithographies et sérigraphies sont aussi en cours.
As-tu un endroit où tu rêverais d’exposer / de travailler ?
Je me sens très proche de l’Asie et bien qu’ayant déjà exposé et travaillé là-bas, je pense que c’est là que mon cœur me guiderait actuellement. Sinon, New York et Paris restent à mon sens les meilleurs endroits pour capter les nouvelles tendances et s’insérer dans le monde artistique.
Qu’est-ce que l’art pour toi (commençant par : « l’art, c’est… ») ?
L’art, c’est la possibilité de transformer actions et matières en réflexion. De questionner et fédérer les gens sur le monde qui nous entoure. L’art c’est une religion aujourd’hui, et les grandes expositions sont les messes où tout le monde se presse en quête de réponses et de mysticité.
Mais pour moi qui suis dans l’action, c’est avant tout un équilibre et une thérapie. Ma raison d’être.